Chahuté par les marchés, le titre Apple ne cesse de baisser, les nuages s’accumulant au-dessus de Cupertino malgré des résultats record : manque d’innovation, chiffre d’affaires en décélération, concurrence féroce. Certes, ces explications rationnelles suffisent à justifier la décroissance boursière d’Apple, mais il s’agit à mon sens de la partie visible de l’iceberg.
Le regretté Steve Jobs a quitté ce monde il y a maintenant un an et demi. Pourtant, jamais il ne semble avoir été si présent. Des dizaines de livres et documentaires retraçant sa trajectoire sinusoïdale ont fleuri à peine l’entrepreneur a-t-il trépassé, essayant d’extraire le génie d’une vie.
Apple doit-il son succès uniquement à Steve Jobs ? C’est la question que beaucoup se posent et secrètement, les admirateurs du mythique fondateur de la firme de Cupertino espèrent la chute de l’entreprise pour que la légende Steve Jobs puisse enfin s’épanouir comme il se doit. Le marché reflète actuellement ce non-dit, ce dernier ne se réduisant pas aux bourses et analystes financiers, il inclut les acheteurs du monde entier.
Bien sûr, l’homme était imparfait. Patron tortionnaire, dévoreur de chair fraîche quand il s’agit de travail, de pommes quand il s’agit de nourriture, Steve Jobs, comme tout être anormal avait ses bons côtés et ses mauvais.
Mais qu’à cela ne tienne ! Une fois l’homme mort, le mythe prend le pas sur la réalité. Même si le « négatif » persiste dans la mémoire collective, il y a un besoin plus grand pour la société qu’il convient de combler. Le besoin d’avoir une idole, un modèle à suivre guidant les pas errants de tous ces entrepreneurs en quête d’innovations.
L’innovation, encore elle, mère d’une croissance sans laquelle aucune issue à la crise ne semble envisageable, elle se décline aujourd’hui à l’infini, dans tous les domaines de la vie. L’innovation influence la création. Un entrepreneur crée une entreprise, mais il la développe, la fait croître par l’innovation. Les produits livrés aux consommateurs sont maintenant top design, repoussant toujours plus loin la création artistique dans un imaginaire industriel.
L’art a de tout temps été lié à la religion et à la politique. Il n’est donc pas anodin de noter cette translation de l’art vers l’économie. Plus que tout autre entrepreneur, Steve Jobs a accéléré ce basculement, incitant à « penser différemment ». Avant l’I-Phone, le Mac était déjà l’ordinateur des designers, des communicants.
N’est-il pas ironique que la pomme fut choisie comme emblème par Steve Jobs, peut-être à cause de ses goûts culinaires ? La légende du choix de la pomme reste intacte, car personne ne sait réellement ce qui a orienté la décision. Ce qui semble sûr, c’est qu’il n’y avait pas de lien avec le fruit de la Bible, celui qui fut croqué par Adam sous l’influence d’Eve. La pomme d’Apple fut croquée, non pas désir de connaissance, mais par besoin de reconnaissance par le public… En effet, le logo aurait pu aussi bien évoquer une tomate s’il n’avait été croqué.
Toujours est-il que les innombrables fans du grand prêtre des nouvelles technologies, marché compris, ne peuvent qu’après avoir rendu un hommage financier posthume à leur idole, en faisant crever les plafonds boursiers à Apple, souhaiter la chute de la pomme pour que s’épanouisse pleinement le mythe de son fondateur. Une chute, métaphore du premier logo de la firme, celui de Newton lisant sous son arbre, la pomme illuminée étant à deux doigts de lui tomber sur la tête.