Pour Vincent Peillon, « la morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. Cela doit aussi être une mise en pratique de ces valeurs et de ces règles. »
Flou. C’est le premier sentiment qui m’envahit à la lecture de cette phrase. La seule expression semblant claire dans cet énoncé est la devise révolutionnaire : « liberté, égalité, fraternité », que l’on doit au parlementaire Jean-Nicolas Pache l’ayant faite graver sur tous les édifices publics en 1791. Cependant, cette trinité républicaine est aussi obscure que la trinité biblique (Père, Fils, Saint-Esprit).
Les simples termes de liberté et d’égalité sont aujourd’hui encore l’objet de débats philosophiques interminables. S’il n’est pas possible de les définir, comment exprimer la relation entre les deux ? Vincent Peillon ne tente pas de le faire, il reprend la formule en la qualifiant bien d’idéal qui selon moi l’est au même titre que l’idéal religieux du bien et du mal.
Le ministre de l’éducation nationale dit aussi clairement que cette morale n’a pas pour but de se substituer aux morales religieuses existantes, mais de constituer un socle commun, « elle est le contraire du dogmatisme et fait le pari de la liberté de conscience et de jugement de chacun : elle vise l’autonomie ». C’est là qu’il y a incohérence.
Une morale est dogmatique ou n’est pas, il n’y a rien de compliqué là-dedans. Le gouvernement n’assume pas que la morale républicaine puisse être une morale différente des morales religieuses, or c’est bien de cela dont il s’agit. Tant que ce n’est pas exprimé clairement, les actions du ministre ne seront que paroles en l’air à envisager un syncrétisme imaginaire.
Qu’il faille une morale républicaine est une autre question qui ne date pas d’hier puisqu’elle a enflammé les débuts de la IIIème république. L’éthique laïque existe déjà, elle s’exprime par l’éducation civique, mais avant tout par les lois. Le problème sous-jacent de cette question de morale est le respect des lois, et peut-être leur trop grande complexité à la vue du nombre.
Les lois sont devenues aussi difficiles à comprendre et interpréter qu’un livre saint. Les docteurs de la loi : les avocats, les juges, sont aujourd’hui « laïquement » ce qu’étaient leurs ancêtres religieux. Vouloir établir une morale laïque, c’est copier le mode d’organisation de la religion plutôt que de s’en émanciper. C’est de plus maladroit politiquement à cause de l’affrontement logique avec les morales religieuses. Chaque morale doit pouvoir rester autonome et différente. Vouloir introduire une morale qui chapoterait les autres ne fera que crisper et renforcer des intégrismes déjà trop présents.
La question du mariage pour tous possède des similarités. Effacer l’historique religieux en faisant prévaloir les pratiques antiques reproduit le même type de domination qu’a pu avoir la religion et constitue un enfermement par l’écrasement du passé. C’est pourquoi j’aurais privilégié un autre terme que « mariage ». Uniformiser plutôt que d’apprendre à respecter les différences est un grand travers de la société de consommation, un danger psychologique. La différence, si elle n’existe pas dans le langage, n’existe pas.
La France n’a pas besoin de plus de morale, mais au contraire, de savoir prendre de la distance par rapport à la morale et évoluer vers des considérations pragmatiques de vie en commun, s’exprimant par un plus grand respect des lois, voire d’une simplification de ces lois qui deviennent incompréhensibles à force de s’empiler. La construction personnelle est de toute façon très difficile dans notre société où s’entrechoquent les lois républicaines, les morales religieuses, les idéologies politiques et la consommation. Mais cette diversité, au-delà de la confusion psychologique qu’elle peut engendrer est avant tout une chance, car elle permet l’émancipation.