« Pour l’homme religieux, la Nature n’est jamais exclusivement « naturelle » : elle est toujours chargée d’une valeur religieuse. Ceci s’explique, puisque le Cosmos est une création divine : sorti des mains des dieux, le Monde reste imprégné de sacralité. [1]»
La nature se compose aussi bien de la Terre que du Ciel. Les dieux célestes s’occupent généralement de créer l’univers, mais la plupart du temps, ils s’éloignent des hommes, ils se retirent dans la voute étoilée après cette exténuante conception. Historiquement, Mircea Eliade rapproche la prise de distance des dieux célestes de la découverte de l’agriculture. Cette dernière met en scène d’autres forces : sexualité, fécondité, la mythologie de la femme et de la Terre…
« L’enfantement des humains par la Terre est une croyance universellement répandue. Dans nombre de langues l’homme est nommé : « né de la Terre ». On croit que les enfants viennent du fond de la Terre, des cavernes, des grottes, des fentes, mais aussi des mares, des sources, des rivières. Sous forme de légende, de superstition ou simplement de métaphore, des croyances similaires survivent encore en Europe » [2].
Selon Régis Boyer, la Terre-Mère occuperait une place encore plus primordiale que les dieux célestes :
« Les recherches de tous les anthropologues concordent sur ce point : sa vénération ultime [celle de l’homme primitif] allait à la source de toute vie, cette Grande Déesse ou Déesse Mère ou Terre Mère que l’on rencontre à l’origine de toute religion, plus peut-être qu’à un dieu-soleil ou à un dieu-céleste diurne qui n’est vraiment fécondateur et bienvenu que sur une part de notre globe car il est des régions où sa cruauté accablante, pour implacable et souveraine qu’elle soit, n’est sacrée que par terreur […], non par amour.
Le culte de la Terre-Mère, alternative à la tradition judéo-chrétienne ?
Les quelques extraits précédents illustrent l’importance historique de la Terre-Mère et son symbolisme au-delà de l’ouvrage de James Lovelock. Comme il a déjà été mentionné plus haut, c’est un dieu céleste masculin qui crée l’univers dans la tradition judéo-chrétienne. La Terre est présente tout au long de la Création, mais elle occupe une place subsidiaire par rapport à l’homme, comme l’a souligné Lynn White. Cependant, n’y a-t-il pas là une part d’interprétation ?
Dans ce même discours de 1966, Lynn White précise que «
plus de science et plus de technologie ne permettront pas de sortir de la crise écologique tant que nous ne trouverons pas une nouvelle religion, ou que nous ne repenserons pas les anciennes ». Il cite ensuite l’exemple de Saint-François d’Assise, il met en avant son humilité et s’appuie sur les légendes à son actif : faire prier les oiseaux, obtenir le repentir d’un loup. Il est probable que le pape François qui travaille à une encyclique sur la nature s’inspirera de la même référence…
D’un point de vue athée, l’écologie peut être considérée sous un angle purement rationnel qui consiste à aligner les statistiques, les modèles environnementaux et les rapports du GIEC. Cependant, l’ampleur du mouvement et la passion qui anime les débats sur l’environnement expriment une composante irrationnelle. Cette dernière pourrait bien manifester une réminiscence de la Terre-Mère dans l’inconscient collectif, une Terre-Mère qui s’opposerait à l’anthropocentrisme judéo-chrétien.
Mais à écouter attentivement les échanges concernant le réchauffement climatique, il est chaque fois question de la « Terre que l’on va laisser à nos enfants ». Ainsi, même du point de vue athée, la Terre ne peut continuer d’assurer sa fonction maternelle qu’avec le soutien des hommes : protéger la Terre et non la détruire. Il n’est donc pas évident d’affirmer que l’écologie voue un culte à la Terre-Mère. La volonté de
sauver la Terre au prix d’un
sacrifice économique s’inscrit plutôt dans une tradition chrétienne.