À peine les députés PS ont-ils émis l’idée de moduler les allocations familiales en fonction du revenu, que l’émoi s’est emparé de la population. Le débat a pris instantanément une tournure passionnelle, rappelant les déchirements toujours actuels au sujet du mariage pour tous, de la GPA et de la PMA. Sauf que dans le cas de la politique familiale, il est peu question d’éthique. Le remous médiatique m’a incité à me documenter sur cette fameuse politique familiale et sur son histoire qui naquit sous le seconde Empire : en 1860, une circulaire impériale instaura un supplément familial de traitement au bénéfice des marins et inscrits maritimes. Il s’agissait d’une indemnité de 10 centimes par jour et par enfant de moins de 10 ans, soit à peu près 5 % d’un salaire ouvrier journalier.
Sous la IIIème république, le secteur privé prit le relais. En 1891, dans l’encyclique Rerum Novarum, Léon XIII sonna la charge contre l’exploitation capitaliste : « quant aux riches et aux patrons ils doivent ne point traiter l’ouvrier en esclave » (RN, n. 16). Parallèlement, il incita à prendre en compte la famille : « La nature impose au père de famille le devoir sacré de nourrir et d’entretenir ses enfants. »
On voit donc dès les prémisses de la politiques familiale se distinguer deux tendances : le natalisme et le familialisme. Le premier « vise d’abord à renforcer la puissance économique et militaire de la nation » [1] quand le second poursuit un but purement moral, lié bien évidemment à la religion catholique en France.
La politique familiale continua de se développer au début du XXe siècle, principalement sous l’impulsion des entreprises privées qui mutualisèrent leurs contributions via la création de caisses de compensations. Ces mesures n’étaient pas nécessairement perçues positivement à l’époque. En effet, le mouvement syndical voyait dans l’émergence des allocations familiales une manière déguisée de contenir les salaires en période d’inflation, en en détachant une partie qui serait conditionnelle à la natalité.
En 1932, une loi rendit obligatoire l’adhésion de tout employeur à une caisse de compensation. Sous le régime de Vichy, les droits d’allocation furent étendus aux chômeurs, aux malades et aux veuves. À la Libération, la sécurité sociale remplaça les caisses de compensation et les prestations familiales furent privilégiées, ce qui, rétrospectivement, pourrait paraître étrange : pourquoi privilégier la famille, et non l’économie directement, alors que la France sortait exsangue du conflit et sans le moindre sou ?
Les politiciens de l’époque, le général de Gaulle en particulier, avaient une conception nataliste forte. Ils pensaient « que des hommes et des femmes qui donnent la vie, ou dont les fils et les filles donnent la vie, ont un objectif : faire en sorte que le monde où vivront ces enfants soit meilleur. L’enfant est pour ses parents et grands-parents une forte motivation au travail. Les Français firent des enfants, travaillèrent dur par amour de ces enfants, et ce fut le début des 30 glorieuses. [2] »
Il y avait donc, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, des objectifs économiques et militaires primordiaux. C’est à cette époque que les allocations furent les plus importantes. Depuis 1945, elles n’ont fait que décroître quantitativement et qualitativement, devenant un pilier du renouvellement des générations. Actuellement, le raisonnement du PS semble être l’inverse de celui du général de Gaulle : les considérations économiques court terme priment sur le long terme.
Cependant, qu’il s’agisse de l’après-guerre ou d’aujourd’hui, l’objectif principal de la politique familiale française est économique (retraites, consommation), contrairement aux motifs éthiques qui guidaient les patrons de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il ne demeure que quelques préoccupations au sujet des inégalités. Cette quasi-absence d’éthique dans la réflexion me frappe d’autant plus que les débats autour de la famille (mariage pour tous, PMA, GPA) font rage et divisent grandement la France.
L’éthique, depuis le début du XXe siècle, a considérablement évolué. Il n’est plus question de faire 3 enfants ou plus sur injonction divine. On pourrait se demander, par exemple, dans quelle mesure une politique nataliste n’est pas en contradiction avec une focalisation, telle qu’elle est revendiquée par toute la société, sur le bonheur de l’enfant. Mais ce genre de question est-il compatible avec les exigences économiques ?