Après la Syrie, l’Ukraine symbolise le renouveau d’une guerre froide que la fin du XXème siècle paraissait avoir enterrée. Mais si le communisme a disparu en Russie, peut-on encore parler de guerre froide ? Pourquoi les Etats-Unis et l’Union Européenne s’acharnent-ils sur Vladimir Poutine quand les rois des pays arabes ou le régime communiste chinois trouvent égard à leurs yeux et même parfois suscitent leur admiration ?
La Chine amie, la Russie ennemie
Deux poids, deux mesures. D’un côté, le régime chinois continue par tous les moyens possibles et imaginables à cloisonner sa population dans le moule idéologique national, celui-là même qui permet d’exploiter le peuple afin de retrouver la grandeur perdue d’une civilisation. De l’autre, le régime Russe renoue avec ses racines orthodoxes et un passé autoritaire, mais sans dépasser la Chine en la matière. Quelle différence ?
Si, énoncé de la sorte, les deux puissances rivales de l’Occident ne semblent pas moralement se différencier, il y a pourtant aux yeux des étasuniens et des français une différence majeure, car Vladimir Poutine est dénoncé comme étant le diable en personne, un homme assoiffé de pouvoir prônant des valeurs dépassées, celles de la religion chrétienne orthodoxe. Economiquement, on ne peut pas dire qu’il y ait la moindre différence entre les attitudes conquérantes de chacun des belligérants, l’Occident remisant aussi de ce point de vue la morale au placard.
Des fondements de la guerre
En effet, dès qu’il s’agit de sous (dessous la conscience), la nation prend le pas sur les considérations philosophiques ou religieuses. La nation ne le sait pas, mais elle est la sœur de la philosophie et de la religion. Elle serait prête à n’importe quoi pour défendre sa famille, même à y laisser sa peau comme tentent de faire les pays européens. Cependant, la mort n’est jamais chose aisée, aussi bien pour un individu que pour un groupe.
Quelles grandes familles peut-on distinguer au sein des puissances actuelles ? Il y a celle du Protestantisme, les Etats-Unis, celle des Lumières, l’Europe, celle de l’Orthodoxie, la Russie, celle du Confucianisme, la Chine, celle de l’Hindouisme, celle du Sunnisme et celle du Chiisme pour ne citer que les principales sur l’échiquier géopolitique.
La guerre économique globale se déroule majoritairement entre ces grandes puissances. Cela peut choquer à priori, pourtant, vous ne pouvez justifier une guerre que lorsque l’adversaire appartient à un autre système de valeurs (deux systèmes de valeurs peuvent être issus de la même morale, mais ils l’interprètent différemment). Sinon, ce n’est pas la guerre, c’est une dialectique interne au système de valeurs qui va justifier ou non les inégalités.
On retrouve à un niveau inférieur, dans les entreprises, le même principe. Les sociétés concurrencent de plus en plus la nation en déliquescence, affichant des valeurs, comme l’entreprise Free de Xavier Niel, et justifiant la guerre face à la concurrence. La justification a recours au même système de valeurs global que la nation. Par exemple, Free comme Leclerc fournissent au plus bas prix dans une optique de fraternité. Mais aujourd’hui, l’entreprise se justifie d’elle-même dès qu’elle existe, car elle crée du travail, valeur essentielle de la démocratie.
Cette digression avait pour but d’expliquer l’importance de la morale et de son interprétation dans la guerre. Nous croyons trop souvent que la morale a été reléguée à l’école depuis la révolution française, mais c’est faux, et croire que le monde est désenchanté l’est encore plus. Le ré-enchanter, comme le prônent certains apôtres de la décroissance, n’aurait que pour conséquence de réagir une nouvelle fois sans s’extraire le moins du monde du bain.
Le contexte désigne l’ennemi
En quoi faire la guerre à Poutine est-il plus logique que faire à la guerre à la Chine ? Je pense que les considérations sont d’ordre pratique. Car l’ennemi principal de l’Occident pourra du jour au lendemain être différent. Prenez par exemple l’Arabie Saoudite. Courrier International a sorti la semaine dernière un numéro spécial sur ce producteur majeur de pétrole. En particulier, le revirement possible des Etats-Unis vers l’Iran fait peur à l’Arabie Saoudite. On voit concrètement par cet exemple que les alliances se nouent et se dénouent au fil des opportunités, cela fut le cas de nombreuses fois par le passé. Le Japon n’était-il pas un ennemi farouche des Etats-Unis avant de devenir son vassal ? Dès lors que deux pays ont des systèmes de valeurs différents, ils sont potentiellement ennemis.
Aujourd’hui, l’ennemi principal de l’Occident est la Russie, demain, ce pourra être la Chine. En l’occurrence, la Russie aujourd’hui est l’ennemi le plus pratique pour les Etats-Unis car il est celui dont les étasuniens dépendent le moins. Impossible de se mettre à dos la Chine qui produit la plupart des biens de consommation américains. Pour l’Europe, vassale des Etats-Unis, il en va de même. Diaboliser Poutine comporte un avantage considérable : cela permet de détourner l’attention des masses, de leur faire dire : « Oh là là, comme je n’aimerais pas habiter en Russie, je ne suis pas si mal loti(e) en France ! ».
Les paradoxes, barreaux de la cage
Se plaindre des patrons mais être heureux et surtout, rassuré d’habiter en France. Vouer un culte sans borne à l’argent tout en le diabolisant. Honnir l’autoritarisme en se soumettant corps et âme à son entreprise pour accomplir un travail salvateur. Voilà quelques paradoxes d’un monde qui ne tourne pas rond, qui perd espoir. Ce monde qui fonce économiquement dans le mur est sur le point de mourir, mais il refuse sa mort. La guerre froide détourne l’attention du mur, elle est ce château en bordure d’autoroute sur lequel le regard s’attarde avant de revenir, un peu trop tard, sur la route qui défilait à toute allure, le frein n’existant plus. En refusant de mourir, le monde renaîtra probablement de ses cendres, identique à lui-même comme au sortir d’une révolution, pour le plus grand malheur des hommes qui l’ont bien cherché (à défaut d’avoir trouvé autre chose). Car une même cause produit toujours le même effet, c’est la Raison qui le dit !