L’aspect démagogique de l’entrevue entre le pape et le président français au Vatican n’a pas échappé aux journalistes. Si la démarche de M. Hollande a pour but de collecter des voix en vue des prochaines élections, elle révèle aussi d’autres éléments d’ordre économique, géopolitique ou politique.
Economie et politique.
La symbolique est forte. En plein forum de Davos, François Hollande privilégie une rencontre avec le pape plutôt que d’aller vendre le « made in France » aux grands patrons réunis pour leur grande messe annuelle en Suisse. Alors qu’il opère un virage social-démocrate, le chef de l’état français, par cette action diplomatique, entend montrer que la politique ne s’agenouille pas devant la puissance économique. En effet, elle est déjà à plat ventre, cela ne sert à rien de s’abaisser un peu plus car il faudrait commencer à creuser le sol…
Ce déplacement peut aussi s’interpréter comme un geste envers la multitude de patrons de droite, concrétisant la convergence économique entre la gauche et la droite. Si depuis le début du mandat de François Hollande il devenait de plus en plus difficile de distinguer les différences avec Nicolas Sarkozy, il faut dorénavant se munir d’un microscope pour apprécier les éventuels écarts.
Un réalisme commun
Sur un plan géopolitique, l’union entre la gauche et la droite existe depuis bien longtemps par contre. Les interventions au Mali ou en Centrafrique furent les rares instants où l’unité nationale battit son plein. Ce qui est un peu plus étonnant, c’est de constater la convergence avec le pape sur la question de l’intervention militaire. La dignité des populations met d’accord le Vatican et la France.
Il y a un an, on comparais l’intervention au Mali à une sorte de croisade, tout comme ce pourrait être le cas à propos des Etats-Unis pour les interventions en Irak ou en Afghanistan. Le discours de François Hollande justifiant l’intervention correspondait comme deux gouttes d’eau à celui d’Urbain II à la veille de la première croisade en 1095. La légitimation de la violence s’améliora au fil du temps grâce à Saint Bernard de Clairvaux, parent du fondateur du fameux ordre des Templiers. Il raisonna ainsi : les infidèles étant porteurs du mal, les tuer éliminait le mal, il ne s’agissait pas alors d’un meurtre mais d’un « malicide ». L’Eglise et l’Etat Français savent user des mêmes arguments quand leurs intérêts convergent.
Les questions qui fâchent
En termes de communication, cette communion entre le pape et François Hollande fut filmée et saluée. Par contre, les 35mn de conversations privées sur les questions qui fâchent demeurèrent secrètes. Mise en scène pour ne montrer que le point d’accord et non les multiples désaccords, car la liste s’allonge : euthanasie, mariage pour tous, avortement. Ce dernier thème que d’aucuns croyaient un acquis républicain tangue sous l’effet des manifestations inspirées de l’élan espagnol.
Comment se fait-il que les oppositions soient aussi franches? S’agirait-il uniquement des conditions économiques qui encourageraient un repli moral ? On peut d’ailleurs compléter la liste des controverses par celle de la morale laïque qui ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Apposer l’adjectif « laïque » après le terme « morale » permet-il d’ôter à la république son héritage chrétien ? Bien sûr que non. Et c’est bien là que le bât blesse depuis la révolution française. La France s’est coupée littéralement en deux à cette époque entre croyants et non croyants.
Une rébellion ne libérant pas
La république laïque établit ses fondations sur des valeurs entièrement chrétiennes. En fait, elle a tenté de réparer une inégalité tolérée par l’Eglise depuis Saint-Augustin (ce dernier avait accepté un pouvoir temporel). Mais les valeurs sont stricto-sensu celles du christianisme, sacrifice compris pour la Nation. La schizophrénie française provient du rejet pour une part de la tradition chrétienne parce que celle-ci aurait échoué historiquement à apporter plus d’égalité, et de l’adhésion d’autre part au christianisme. Cela explique le titre de l’article : la France aux François (le président et le pape).
Deux morales qui s’affrontent, c’est la guerre, l’une devant dominer l’autre. Historiquement ce fut toujours le cas. Sauf que les morales catholiques et athées sont pratiquement les mêmes en France. Les quelques différences portant sur l’euthanasie, le mariage pour tous et l’avortement sont l’occasion d’une querelle d’adolescent se rebellant contre son père, mais n’effleurant que les bords de la morale sans oser l’observer dans sa globalité. Rien n’obligeait François Hollande, dans un contexte économique aussi difficile, à s’engager dans ces réformes, la signification est profonde et à considérer sérieusement. Prendre de la distance avec la morale, si c’est pour s’y opposer par rancœur, cela revient à s’y coller en voulant la remplacer par une morale plus « parfaite » et finalement, plus contraignante par ailleurs.
La diminution des libertés se constate aujourd’hui par la multiplication des lois et le regain d’autorité de l’Etat. Sous couvert d’assurer la dignité et la sécurité des individus et de la nation, les législateurs et l’exécutif en profitent pour augmenter la surveillance des données informatiques, interdire la prostitution ou les spectacles de Dieudonné, diminuer les limitations de vitesse… Même l’Eglise n’avait pas pensé à interdire la prostitution, cette dernière était tolérée dans une certaine mesure pendant le bas Moyen Âge. Si ces directives paraissent aux yeux de certains nécessaires, elles révèlent pour moi un échec de la République à éduquer correctement ses enfants, mais surtout à les rendre autonomes donc plus libres et respectueux de l’autre.