La croissance économique peut provenir soit de l’investissement, c’est-à-dire une augmentation de la production, soit de la consommation. Economistes et politiques se creusent la tête pour savoir qui de la poule ou de l’œuf il faut favoriser afin d’obtenir plus de poules et plus d’œufs, mais est-ce bien raisonnable ?
Dieu
L’homme créateur n’a plus de limites. Google envisage même de le faire vivre mille ans d’ici peu. Imaginez deux secondes la question des retraites dans cette perspective. Cependant, nous n’en sommes pas là. Avant de boire la coupe de la vie, l’homme doit d’abord résoudre un problème de taille, celui de la croissance. Pourquoi y-a-t-il besoin d’une croissance forte ? Selon l’argumentation rationnelle, pour que chacun puisse avoir un travail, mais aussi afin de maintenir le niveau de vie actuel de la société qui continue de croître. Effectuons quelques parallèles symboliques.
L’Etat et les patrons d’entreprises constituent un groupe social à caractéristique divine. Il leur échoit la responsabilité de créer suffisamment d’emplois afin de produire et que chacun puisse consommer à satiété. L’image du père, présente dans le terme « Patrie » pour l’Etat, se décline dans le langage économique : une entreprise se gère en bon « père » de famille, une PME est souvent qualifiée de familiale…
La conception du père provient de celle de la religion chrétienne : il doit pourvoir aux besoins de ses enfants, de son troupeau en tant que berger, tout en maintenant une distance avec ces derniers. L’Etat-Providence manifeste cette bonté-divine du père aidant ses enfants en détresse. Le problème courant est que cette détresse devient structurelle alors que les mécanismes d’ajustement, aussi bien pour le chômage que les retraites, furent conçus dans un contexte historique où ils ne représentaient pas un tel fardeau économique.
Jésus
De manière schématique, j’associe la production à la fonction divine de création, la consommation à une projection de l’enfant nourri sans effort particulier et pouvant s’amuser. Comme l’a dit Jésus en Matthieu 18.3 : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». Walt Disney et ses dignes successeurs, fournisseurs de rêves, ont très bien intégré ce concept. Mais pour entrer au paradis céleste, il convient aussi de se mettre au service des autres, de même que Jésus lavant les pieds de ses disciples, ce qui constitue la notion fondamentale du commerce : « le service client ».
Il y a un aspect de la consommation qui est particulièrement crucial : l’alimentation. Comment se fait-il que la société occidentale soit obèse ? Peut-être parce qu’elle reproduit le dernier repas de Jésus avec ses disciples, constamment et sans le savoir. Par compensation d’un manque de nourriture spirituelle (qui peut survenir à un croyant ou un non-croyant), on mange encore plus. Si on ne veut pas devenir obèse malgré une certaine boulimie, une solution consiste à faire du sport excessivement, une autre à se droguer pour fuir encore et toujours ces questions psychologiques qui font peur.
L’alternance
L’homme alterne dans son comportement économique entre Dieu et Jésus : soit il dirige, il est le maître, soit il se met au service des autres. Cela dépend du contexte dans lequel il se trouve. Par exemple, quand je suis en situation d’autorité, j’endosse le masque divin, mais lorsque je veux montrer l’exemple, je revêts l’habit de Jésus. Même la personne qui n’a pas de responsabilité en entreprise peut avoir ses instants de gloire en tant que cliente quand elle fait ses achats.
Est-ce bien ou mal d’incarner Dieu et/ou Jésus ? Du point de vue religieux, il est bon de suivre Jésus, mais comment éviter de se comporter à l’image de Dieu dès qu’il s’agit d’imposer un comportement, de cadrer comme tout père et toute mère sont amenés à le faire ?
Le Phoenix
La société de consommation avec ses temples modernes (stades, salles de concert, parcs, centres commerciaux, boîtes de nuit…) se veut en France désenchantée, laïque, séparée d’un Dieu qui serait mort, mais n’oublie-t-elle pas dans ce cas, ne refoule-t-elle pas ? Car parallèlement, nombreux sont ceux qui rejettent la société de consommation. Cette haine me semble de même nature que celle envers l’Eglise au moment de la Réforme ou de la révolution française. Quel enseignement peut-on en tirer ? Rejeter le christianisme qui fait partie de nous, qui nous a façonnés par sa morale, entraîne à recréer une chose similaire sous une autre forme.
Le monde économique m’apparaît comme une projection de la morale chrétienne interprétée d’une certaine manière. Que ce soit le protestantisme, le catholicisme, le communisme, le socialisme, la philosophie des Lumières, tous ces systèmes de valeurs sont issus du christianisme. Ceux qui ont voulu tuer Dieu ont cru y arriver, mais ce dernier renaît de ses cendres tel le Phoenix.
Le besoin en croissance constitue le moyen pour atteindre l’objectif implicite d’un paradis terrestre, une utopie. Vouloir produire plus et consommer plus, c’est tenter d’atteindre matériellement un futur incertain, mais l’idéal reste à l’état de promesse, et cela, depuis toujours. C’est pourquoi je me demande dans quelle mesure il est possible et même souhaitable de désenchanter le monde, en particulier la production et la consommation. Avant même de vouloir désenchanter ou ré-enchanter, ne serait-il pas intéressant de comprendre un peu mieux l’enchantement ?