Positionner les idées au-dessus des hommes est une attitude platonicienne. Valoriser le collectif par rapport à l’individu relève du socialisme. Ces convictions ont trouvé bien entendu des contradicteurs, notamment en la personne de Theodore Zeldin qui a défendu l’individu, l’histoire personnelle et la vie privée.
Concernant spécifiquement les nombreux livres publiés par des politiques peu après leur départ du gouvernement, Florence Aubenas a produit une analyse que je trouve très intéressante : ces ouvrages paraissent dans un climat de défiance généralisée vis-à-vis de la classe politique. Ils expriment, dans une certaine mesure, une volonté de se démarquer d’un monde politique rejeté en bloc par les Français qui s’orientent vers les extrêmes.
Ainsi, l’augmentation de l’émotion, au travers de livres politiques ou de doléances répétées dans les médias, témoignerait d’un rejet de la classe politique française. Le bref reportage sur les plaintes télévisées diffusé dans l’émission illustrait des catastrophes naturelles, des drames qui ne sont pas liés au pouvoir politique. Pourtant, le débat a tourné principalement autour des politiques, comme si ces derniers portaient l’ensemble des responsabilités.
Il ne s’agit pas là d’un hasard, mais d’un trait culturel fondamental. Il n’y avait guère qu’un anglais, Theodore Zeldin, pour apporter un point de vue plus individualiste sur le plateau. En France, on attend systématiquement des réponses, des solutions de la part du pouvoir politique. C’est pour cela que je rejoins le constat de Florence Aubenas qui souhaiterait que les médias montrent la vie de la personne qui se plaint après la doléance. S’arrêter à la plainte, c’est transmettre le flambeau ensuite à la femme ou à l’homme politique qui doit trouver des solutions.
Cependant, la réalité sociale en France correspond à une attente de réponses. Lorsque les espoirs sont trahis, que les politiques n’agissent pas en fonction de leur parole, qu’ils n’obtiennent pas les résultats escomptés, la montée des extrêmes n’a rien de surprenant. Mais une fois de plus, le débat s’arrête là. La tyrannie de l’émotion qui renvoie aux extrêmes a nécessairement une responsabilité gouvernementale. Or, et c’est une chose que je tente de souligner dans ce blog depuis le début, s’arrêter à ce constat, c’est faire à peine la moitié du chemin.
L’émission dans son intégralité a concerné le vase clos de la France alors même que les problèmes politiques récurrents et la détresse sociale viennent principalement des conditions économiques. Ces dernières sont indissociables du reste du monde. Une grande partie de l’émotion vient d’un sentiment de dégradation de nos conditions matérielles face à une concurrence étrangère qui a grignoté des parts de marché, mais aussi des emplois avec les délocalisations.
Dans une autre émission diffusée cette semaine, Place aux idées, Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, a évoqué une fin des « privilèges » occidentaux. Selon lui, la croissance plus élevée dans les pays en développement est une « bonne nouvelle » qui parallèlement nous oblige à un certain nombre de remises en questions. Même si M. Pisani-Ferry a relativisé cette notion de privilège, il a bel et bien employé le mot.
La dictature des émotions me semble directement liée à cette perte de privilèges sur la scène internationale. La remise en question est d’autant plus difficile que notre société française s’en remet entièrement au pouvoir politique pour trouver des solutions et que ces dernières relèvent exclusivement de principes matériels, qu’il s’agisse d’argent (croissance du PIB) ou d’environnement (sauvegarde de la planète).